Sous la direction d’Agnes Husslein-Arco, l’exposition ouverte jusqu’au 16 avril sous le titre « LOOK » présente 110 peintures et sculptures.
Le musée Heidi Horten ne fait partie que depuis peu du paysage muséal dense de la capitale autrichienne, mais il semble avoir déjà réussi à se tailler un espace à part, notamment grâce à sa situation centrale entre l’Opéra d’État et l’Albertina. Sa principale attraction est une collection d’art moderne et contemporain qui couvre les artistes et les nations, et qui présente des chefs-d’œuvre aujourd’hui inaccessibles pour les budgets des musées d’État : de Klimt à Picasso, de Chagall à Rodin, d’Yves Klein à Fontana, de Warhol à Basquiat et Damien Hirst.
Viennoise née en 1941, dotée d’une fortune d’un milliard de dollars héritée en 1987 d’un mari controversé de 30 ans son aîné, puis astucieusement exploitée au point d’être estimée par Forbes à trois fois sa valeur en 2018, Horten a prodigué sa passion pour l’art dans des acquisitions non-stop aux enchères et en galerie depuis les années 1990, toujours conseillée par Agnès Husslein-Arco, ancienne responsable de Sotheby’s et ancienne directrice du Belvédère, qui a réussi en 2018 à convaincre son client de présenter ce bien au public dans le cadre d’une première et unique exposition accueillie par un autre musée : jusque-là, ces peintures et sculptures n’avaient que discrètement orné les différentes résidences des Horten.
Succès médiatique
Le succès, également médiatique, de cette initiative a fait naître l’idée de créer son propre musée, suivie de l’achat éclair d’un palais au cœur de la capitale, d’une restauration radicale et de la création d’une structure organisationnelle capable de gérer ce trésor artistique dans la durée. L’écueil sévère des doutes d’abord plus que fondés, puis des certitudes avérées sur la provenance de l’argent destiné à financer les villas et les mégayachts, la vie sociale et, bien sûr, l’art, n’a pas arrêté le projet de musée, ni son marketing, tout de suite axé sur la qualité de la collection et le goût sûr du propriétaire.
Ce n’est que sur le site Internet du musée que le visiteur se voit proposer un lien vers une étude récente sur l’aryanisation généralisée des biens juifs, qui a permis à son mari Helmut d’amasser une fortune et de bâtir un empire d’une cinquantaine de grands magasins dispersés dans toute l’Allemagne : Le regard fixé sur l’avenir, avec la certitude séculaire de sa propre extranéité par rapport aux faits reprochés à son mari, Heidi Horten a, pour ainsi dire, parié sur le pouvoir de l’oubli qui, en fait, a déjà rapidement estompé le contexte historique, laissant ce corpus plus que considérable intact.
La mort avant l’ouverture du musée
L’ouverture de son musée, Heidi Horten l’a manquée en raison d’une maladie qui a écourté sa vie en quelques jours. Sous la direction d’Agnes Husslein-Arco, l’exposition ouverte jusqu’au 16 avril sous le titre « LOOK » apparaît également comme un hommage à la collectionneuse et à son statut de femme. En effet, 110 peintures et sculptures thématisent la féminité sous ses formes les plus diverses, et sont complétées par 22 robes haute couture, dessinées spécialement pour Horten par des créateurs tels que Christian Dior, Givenchy, Yves Saint Laurent, ou Jean Patou. Le somptueux éventail d’œuvres commence par un achat de 2022 : un portrait Biedermeier de Friedrich von Amerling, inaugurant l’ouverture de la collection vers le profond XIXe siècle ; il se poursuit avec Matisse, Degas, Picasso, Mirò, Francis Bacon et Gerhard Richter, et se termine par des créations incisives de Sylvie Fleury, Birgit Jürgenssen, Gelatin, Igor Mitoraj et Anselm Kiefer, qui est présent avec une sculpture de 2022.